À l’occasion de mon 62e anniversaire, j’ai décidé de faire valoir mes droits à la retraite en tant qu’ex-salarié du secteur privé. En effet, je n’ai pas toujours été instituteur de l’école publique (sur mon départ à la retraite de l’Éducation nationale, voir ici). Après l’obtention d’un DUT Carrières sociales en juin 1982, j’ai travaillé pendant plusieurs années comme éducateur de rue et animateur socio-culturel. Après un CDD au centre social de l’Alma-Gare, le centre social et culturel voisin – celui du Fresnoy-Mackellerie (vieux quartier populaire constitué à l’époque de nombreuses courées insalubres et classé « site de développement social ») – m’a proposé un CDI. Embauché sur un poste de prévention précoce de la délinquance dépendant de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), mes fonctions m’ont progressivement amené à travailler avec l’ensemble des habitant·es et des associations du quartier et aussi avec plusieurs enseignant·es du collège Sévigné dans le cadre d’une liaison école-quartier (mon bon souvenir à Gérard de SUD éducation 59 !).
Ci-dessous la vue que j’avais à travers la fenêtre de mon bureau :
Je profite de cet article pour publier ci-dessous la couverture, le sommaire, l’avant-propos et deux extraits du mémoire que j’ai soutenu en 1982 pour l’obtention du DUT Carrières sociales. Un de ces jours, quand j’en aurai le courage, je scannerai plusieurs pages de ce mémoire pour les publier ici car il y a des passages intéressants et toujours d’actualité. Concernant ce mémoire, je remercie Monique et Alain pour leur aide. Concernant mes deux années passées à l’IUT Carrières sociales de Lille, je fais un petit coucou à mes deux meilleur·es ami·es de promo : Yves et Christine. Enfin, j’adresse un grand bravo à Annick Batallan, formatrice passionnée et passionnante qui savait faire partager son amour de l’éducation populaire !
Avant-propos de ce mémoire :
C’est en 1980 que je décide d’entreprendre une formation d’animateur. Fort de mes convictions idéologiques, je ne fais pas mon entrée seul à l’IUT. Ma conception de l’animation s’inscrit en effet dans la lignée socio-éducative des Bourses du travail. Ainsi, comme le déclare Fernand Pelloutier, il faut non seulement instruire pour révolter, mais donner au peuple les moyens de s’auto-organiser ! Éveiller la conscience de classe, favoriser l’épanouissement et l’autonomie de l’individu, permettre la prise en charge du mouvement ouvrier par les travailleurs eux-mêmes, tels me paraissent être les objectifs d’une animation à finalité révolutionnaire. Bien sûr, je n’ignore pas la réalité répressive de l’appareil culturel et je sais de quelle chaîne je vais être le maillon. Le travail social est avant tout une vaste entreprise d’intégration. Toutefois, définir une stratégie, analyser le champ d’intervention qui va être le mien, et ceci en fonction de mes idées libertaires et quelques soient les contradictions qui peuvent en découler, me semble une démarche à la fois logique et nécessaire dans le cadre de ma formation à l’IUT. Bref, voilà en quelques mots les raisons qui ont motivé le choix de ce mémoire. Le regard que je porterai sur le socio-culturel étant fortement influencé par mon engagement politique, il m’a semblé nécessaire, dans un premier temps, de faire une présentation générale de l’anarchisme : sa philosophie, son projet de société, sa perception du mouvement social et sa conception du syndicalisme. Chacun de ses aspects ne sera pas inutile. Ils expliquent tous en partie l’analyse que je fais du socio-culturel. Mes conceptions libertaires, associatives et fédéralistes mettront en valeur la méfiance que j’éprouve à collaborer à un appareil d’État. Le souci des anarchistes de favoriser l’émergence d’un mouvement alternatif, d’un contre-pouvoir, rejoindra mon intérêt pour les cultures populaires, parties intégrantes de la mouvance autogestionnaire. Mon désir de travailler en comité d’entreprise s’expliquera par les sensibilités et les traditions syndicales du mouvement libertaire. Enfin, ma vision anti-autoritaire des rapports humains expliquera les multiples contradictions qui se poseront à moi en tant que futur professionnel de l’animation. Telle a été ma méthode de travail, tel sera le plan de ce mémoire. De l’appareil culturel au monde du travail, des cultures populaires aux contradictions personnelles, ce mémoire aura pour but de présenter globalement les perspectives d’action, les analyses et les vues professionnelles d’un militant anarchiste.
Extrait du chapitre V intitulé « Cultures populaires et auto-organisation » :
Deux conceptions très tranchées existent sur le problème culturel. La première de ces conceptions définit la culture comme l’ensemble des œuvres d’art, de pensée et de sciences : la culture est un capital, un héritage national et universel, constitué par la somme des œuvres de valeur produite par différents peuples à différents moments de l’Histoire. L’autre conception conçoit la culture comme un mode de vie avec ses us et coutumes, ce qui est une vision pluraliste où existent des cultures différentes selon les groupes différents : culture de classe, culture régionale, culture ethnique, etc… La première conception est partagée par la bourgeoisie mais aussi par le marxisme. La deuxième conception, longtemps celle presque uniquement des libertaires et des fédéralistes, est de plus en plus partagée par les ethnologues, anthropologues et sociologues. De la conception de la culture découle automatiquement l’action culturelle. Ainsi les démocrates conçoivent la création culturelle par une élite aux dons naturels et, lorsqu’ils sont humanistes, proposent la diffusion culturelle dans le cadre des loisirs par des institutions culturelles, telles les Maisons de la culture. Pour les marxistes, la prise du pouvoir d’État est indispensable pour que le peuple se réapproprie la culture accaparée par la bourgeoisie. Mais lorsqu’ils sont au pouvoir, la création culturelle est toujours l’œuvre d’une élite dans le cadre étroit cette fois-ci de la propagande d’État. La conception libertaire de l’action culturelle, elle, est fondée sur deux principes essentiels profondément populaires : l’autogestion et le fédéralisme. Selon les libertaires, la culture doit donc se développer d’une façon pluraliste et décentralisée.
Depuis des millénaires, les pouvoirs en place mènent un combat féroce contre les cultures populaires et régionales au profit d’une culture centralisée des élites, culture de masse, culture d’État. C’est ainsi qu’on observe dans la seconde moitié du XVIe siècle une vaste entreprise de déculturation lancée par l’Église et l’État pour le plus grand profit des élites. Mais les cultures populaires ne s’éteignent pas entièrement pour autant. Au début du XIXe siècle, les pratiques communautaires s’épanouissent parmi le peuple. Il s’agit surtout d’une sociabilité informelle : rôle de la veillée à la campagne et du cabaret à la ville. Mais les confréries de métiers, les sociétés chantantes et même les clubs de loisirs, imitation rageuse des cercles bourgeois, ne sont pas à négliger et sont les prémisses d’une vie associative, bien avant la loi de 1901.
Le combat mené par l’État dans les années 1900-1950 porte un coup terrible aux cultures populaires. On assiste en effet durant cette époque, à la destruction des langues régionales par l’école laïque et au développement massif des médias. Ceux-ci envahissent progressivement le paysage culturel, modelant de nouveaux comportements uniformes et imposés. Englués dans cette culture de masse, les cultures populaires agonisent.
Le début des années 1970 voit le réveil des cultures populaires. En effet, étroitement lié au concept d’autogestion, l’idéal antiautoritaire de Mai 68 a fait son chemin :
– critique de l’État et de son rôle, allant d’une contestation radicale à un souci de démocratisation et de participation ;
– prise de conscience de la culture comme instrument de pouvoir, mais aussi comme enjeu idéologique ;
– radicalisation de certaines couches sociales dépossédées de la culture, et critique de la culture comme élément central de l’idéologie dominante
– critique généralisée du système d’enseignement comme lieu de transmission du savoir bourgeois et d’inculcation de son idéologie.
Ce réveil des idées révolutionnaires et libertaires amène une remise en cause de la culture de masse. L’art doit rejoindre la rue, la culture la vie quotidienne. En même temps que se développent la profession d’animateur et l’appareil d’action culturelle, les lieux et institutions socio-culturelles sont rejetés par une frange importante de la population. On refuse la division entre une minorité de spécialistes se réservant le monopole de la création artistique et une masse de gens considérés à la fois comme des animés et des consommateurs. Selon l’expression à la mode, il faut « aider la créativité à trouver ses moyens d’expression ». Dans le même ordre d’idée, la nouvelle sensibilité libertaire qui voit le jour se dresse contre la hiérarchie des rapports sociaux, refuse la division du travail. La politique, elle aussi, est rejetée en tant que secteur autonome. Un ensemble de pratiques culturelles et de phénomènes sociaux se mettent en place. Ils se situent en marge et se veulent alternatifs. C’est ce que nous avons déjà vu précédemment dans le chapitre III, paragraphe 2.
Aujourd’hui, l’alternative sur le plan socio-culturel est toujours à l’ordre du jour. Force est de constater en effet que les cultures populaires n’ont pas disparu. Une certaine résistance existe parmi les classes ouvrière et paysanne ainsi que dans des milliers d’associations où les gens refusent d’être assistés, encadrés, dirigés et commercialisés par l’État. L’auto-organisation se développe partout à des degrés divers. Certes les difficultés existent et elles sont nombreuses. […]
Salut,
Je lirais bien ton mémoire si tu peux le numériser un jour.
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