Hommage à mon père, Jacques Dussart (1925-2010)

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Mon père et moi en 1962

Ci-dessous un large extrait du texte que j’ai lu il y a 14 ans pour les obsèques de mon père :

[…] Quel souvenir garderons-nous de Jacques ? L’amoureux romantique ? Celui qui a demandé à ma sœur et à moi de disperser ses cendres avec celles de son épouse Ginette sur le talus du château d’eau d’Onnaing, pour que ces deux êtres soient réunis à nouveau à l’endroit même où, à la fin des années 1940, ils échangeaient en cachette leurs premiers baisers.

Le travailleur infatigable, méticuleux et convivial ? Celui qui comme mon grand-père a travaillé à l’usine métallurgique Venot ; celui qui une fois devenu artisan-coiffeur faisait rire ses clientes ; celui qui excellait dans bien d’autres domaines (jardinage, mécanique, menuiserie…).

Le voyageur curieux ? Celui qui, du trou de Bozoul (un mot dont la sonorité le faisait rire) au vignoble du Jura, du petit bois de trousse-chemise (sur l’île de Ré) à la mer de glace, de Carmaux et sa statue de Jean Jaurès aux cerfs-volants de Berck… Jacques n’hésitait pas à arpenter les routes de France, en vélo-solex, en voiture ou à pied, avec sa petite tente canadienne tout d’abord, puis avec sa chère petite caravane (quand il a eu les moyens financiers de s’en offrir une).

À moins que nous gardions le souvenir d’un père attentif à l’avenir et au bien-être de ses enfants ; d’un grand-père généreux et de sa fameuse gelée de groseilles ; d’un maître-pâtissier et de sa non moins célèbre bûche glacée aux marrons et au kirsch ; d’un citoyen engagé, ouvert sur le monde et sur les autres, un citoyen qui a contribué aux œuvres de l’Amicale laïque d’Onnaing, un citoyen qui a participé régulièrement et pendant de longues années au Don du sang, un citoyen qui affichait volontiers ses convictions humanistes, écologistes et pacifistes par le biais d’autocollants apposés sur la vitre arrière de sa voiture, un citoyen qui n’a pas hésité à consacrer une partie de son temps libre à la préparation du diplôme de secouriste bénévole délivré par la Croix-Rouge, un militant de l’Association des crématistes du Nord, un défenseur de l’Espéranto (une langue internationale qu’il avait essayé d’apprendre avec Ginette, ma mère, en allant à des cours du soir à Valenciennes).

Multiplier les exemples pour chacun des traits de sa personnalité serait trop long. Je me contenterai donc de citer quelques extraits de ses carnets de voyage…

Le 1er mai 1993 à Paris :

11h, nous sommes place de la République, en plein Kurdistan. L’internationale en kurde, une vraie merveille ! Gainsbourg devrait refaire la Marseillaise en kurde ; je pense que cela serait aussi beau ! Après avoir fait pour la énième fois le tour de la place et après avoir trouvé la librairie du « Monde libertaire », nous allons manger. Il faut reprendre des forces et puis, toutes les odeurs de merguez nous ont mis en appétit ! C’était un beau défilé. Il y avait de tout : des cégétistes bien sûr, des communistes, des Marocains fulminant contre le roi, des Tunisiens contre leur président, des habitants de Mayotte demandant l’indépendance, des Érythréens (je pense que cela se dit comme ça) contre les puissances étrangères chez eux, des Polissarios pour la même chose, des Palestiniens contre les Israéliens, des Iraniens (à bas Kkomeini !)… Près de moi, un homme noir a voulu vendre un journal trotskyste à un pépé cégétiste. Le pépé cégétiste le rabroue : « Pas de trotskystes ici ! ». Il y avait aussi des espagnols, des salvadoriens, des chiliens. C’était vraiment un beau défilé haut en couleur. Tous réclamaient, criaient, chantaient. Personne n’était content mais avec le sourire. Vraiment un beau défilé ! Même la voiture était contente car elle avait des badges tout neuf collés sur la vitre arrière.

Le 6 juin 1993 à Saverne :

Arrêt au restaurant. Nous consultons la carte. Elle offre une choucroute simple et une royale. La simple est peut-être républicaine. Nous avons décidé de venir y goûter un soir.

Le lendemain :

Nous avons décidé de visiter Strasbourg. Je croyais Strasbourg au bord du Rhin. Mais non ! Par contre, il y a des canaux, ce qui rend la ville très agréable à visiter. Le soir, de retour à Saverne, nous prenons une choucroute royale : jambonneau, saucisses, tranches de porc, une petite bouteille de Riesling, café et liqueur de mirabelle. Ginette était toute gaie pour rentrer !

Lundi 8 juin :

Repos, pas de promenade, sieste prolongée, bricolage à la caravane. La bâche légère que j’ai adaptée à la caravane pour remplacer l’avancée (trop lourde et encombrante) est réussie. Un peu petite, mais il me reste de la bâche. Donc, je peux en refaire une. Du travail en perspective pour la rentrée !

Mercredi 10 juin :

Notre voisin de camping est venu raconter des histoires croustillantes à Ginette. Quand il voit Ginette aller faire sa vaisselle, il se précipite pour faire la sienne et bien sûr lui causer. Rien de grave, je pense. Mais je lui ai quand même demandé son âge : 75 ans. Bien sûr, il a de plus gros revenus que moi, mais il doit être maniaque, ce qui ne plairait pas à Ginette.

Dimanche 14 juin 1993 :

Visite du camp de concentration « Le Struthof ». Un camp SS bâti au sommet du mont Struthof  dans un but bien défini car, pour bâtir les futurs monuments à la gloire de l’Allemagne nazie, il fallait du granit. À l’entrée du camp, on y a édifié une grande flamme, une flamme énorme en béton, la flamme de la crémation qui ressemble étrangement à celle des crématistes. Je me pose des questions. J’ai déjà contesté le titre du journal des l’Association des crématistes (« La Flamme »]. Je me demande si je vais rester crématiste et je comprends maintenant que certains déportés soient choqués par les idées du mouvement crématiste. Ensuite, le musée dans une baraque avec des images horribles. Sur le livre d’or que Ginette a déniché, elle a écrit cette phrase : « Que tous ceux qui rêvent d’un dictateur viennent voir au Struthof ! ».

Mercredi 17 juin 1993 :

Visite du château du Haut-Königsberg. Près du château, il y a la forêt des singes. Ginette a voulu les voir. Ginette aime beaucoup les singes mais nous n’avons pas pu y rester longtemps car les singes étaient très intéressés par Ginette et je ne tenais pas à en ramener un à la maison. Bien sûr, j’aurai pu les mettre dans l’arbre caoutchouc au pied de l’escalier, mais il aurait voulu Ginette près de lui et, comme je tiens beaucoup à mon caoutchouc, j’ai dit « non, pas de singe à la maison ». Je veux bien faire faire quelques fois quelques grimaces, mais rien de plus !

Le 27 juillet 1995 à Saint-Claude :

Les nuits sont un peu fraîches. Ginette se plaint d’avoir froid. Je lui conseille de se rapprocher !

Même jour, même lieu :

À bien penser, il n’y a pas grande différence entre les vaches et les campeurs. Nous pratiquons la transhumance et nous aimons tous les deux l’herbe tendre !

Escalade au Pic de l’Aigle :

Nous sommes rentrés très fatigués. Le soleil y est pour quelque chose. Ginette commence à perdre quelques grammes !

Lundi 7 août :

J’ai oublié que c’était l’anniversaire de Ginette. Je me suis fait pardonner en lui offrant un petit verre de vin du Jura. Elle espérait peut-être plus mais je lui paierai une glace en faisant les courses à Saint-Claude. Elle aime beaucoup les glaces !

15 août, montée à l’aiguille du Midi :

Le spectacle était beau, la neige étincelait et Ginette était contente de sa sortie. À 20 ans, elle a connu la mer en solex et, à 65 ans, le Mont-Blanc en 309 Peugeot. J’aurai fait mon possible !

Vendredi 18 août :

Il est 13h, nous nous élançons au sommet du glacier des Bossons. Deux heures de marche. Ginette est le sur le point d’abandonner. Sursaut d’énergie ! Nous grignotons le morceau de sucre que nous n’avions pas laissé dans l’assiette à midi. Mais il y a encore deux heures de marche et peut-être un orage. Nous redescendons. Mais Ginette ne descend pas plus vite qu’elle ne monte !

*****

Pour conclure cet hommage, je terminerai sur un souvenir que ma sœur et moi avons en commun : celui d’un papa bricoleur, toujours le cœur à l’ouvrage et un air de musique sur les lèvres, air d’opéra ou d’opérette qu’il aimait siffloter en bricolant.

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