En 1848, les provençaux qui soutiennent le mouvement démocrate-socialiste et qui sont partisans de la Bòna (appellation donnée à ce qu’ils appellent aussi la Bèla ou La vraie république) adoptent le thym comme emblème. Lors des manifestations, ils chantent en provençal : Plantem, plantem la farigola ! Republican, arraparà. Fasem, fasem la farandola ! E la Montanha florirà (Plantons, plantons le thym ! Républicain, il prendra racine. Faisons, faisons la farandole ! Et la Montagne fleurira).
Pourquoi le choix de cette plante pour emblème ?
1) Parce que le thym est une plante très résistante qui pousse à l’état sauvage sur les còlas (collines) arides et rocailleuses dau país provençau, incarnant ainsi l’esprit de résistance face à l’adversité (car les démocrates-socialistes sont à la fois opposés aux monarchistes et aux républicains modérés et ils font face régulièrement à la répression).
2) Parce que les collines sur lesquels pousse le thym font penser à la montagne… et que La Montagne est le nom que les démocrates-socialistes présents à l’Assemblée nationale constituante de 1848 puis à l’Assemblée législative de 1849 ont choisi pour désigner leur groupe (car ils siègent sur les travées les plus hautes de l’hémicycle, à l’instar des Montagnards de la révolution de 1793 dont ils ont repris une partie des idées).
Ci-dessous un extrait de l’étude Parures florales : des corps politiques dans l’espace public de la Restauration à la Deuxième République (1814-1852) réalisée par Emmanuel Fureix, professeur d’histoire contemporaine :
Le thym (ou farigoule)* rentre quant à lui dans le répertoire symbolique de la République démocratique et sociale, celle des classes populaires et de la démocratie directe. Il incarne, dans la Provence de la Deuxième République, la Montagne démocrate-socialiste, nouvel avatar de la Montagne de 1793. De l’Ardèche à la Drôme et au Vaucluse, des Bouches-du-Rhône au Var, les archives administratives en portent la trace inquiète. C’est « la plante des montagnards, parce qu’elle est cueillie sur la montagne », elle décore fréquemment les cafés ou cabarets « rouges », mais elle sert aussi d’ornement aux participants aux banquets socialistes. Les banqueteurs de Bouchet (Drôme), en mai 1850, se promènent ainsi un bouquet de « farigoule » à la main, en chantant « La Montagne refleurira », de même que les sept cent cinquante souscripteurs du banquet « rouge » de Lourmarin (Vaucluse), en 1849. Une chanson en provençal, citée par Frédéric Mistral mais aussi dans plusieurs rapports de police de la Deuxième République, vient préciser la promesse républicaine du thym démocratique et témoigner de sa diffusion sociale […]. La gendarmerie n’hésite pas à arracher les branches de thym séditieuses, ou à les prélever comme pièces à conviction. Il est vrai que le thym, fréquemment associé à des rubans ou tissus rouges, peut prendre des connotations menaçantes. Lors d’une farandole à Chabas (Drôme) le 1er mai 1849, les militants républicains porteurs de ces emblèmes s’écrient : « Vive les rouges et mort aux blancs** ! Nous les foutrons à la frigolette […] !
Notes :
* En occitan provençal, le mot thym se dit frigola, ferigola ou farigola, ce qui a donné farigoule en français régional.
** Les blancs : terme désignant les monarchistes, ennemis de la République et de la démocratie, partisans du cléricalisme et bien sûr d’un retour à la royauté.
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PS : Sur le thème des fleurs et de l’engagement social, voir aussi le petit poème (Flor de barricada) que j’ai écrit en 2024 pour rendre hommage à l’esprit de lutte qui, de générations en générations, traverse les siècles sans jamais renoncer : https://ericdussart.blog/2024/06/23/flor-de-barricada

