Hommage à mon ami et camarade Jean-Claude Lemaire (1950-2025)

Mon ami et camarade Jean-Claude Lemaire est décédé au Nicaragua le 2 mai 2025 à l’âge de 75 ans en raison d’une blessure au pied mal soignée.

Né le 8 juin 1950 à Hellemmes (59), Jean-Claude fait ses études au lycée Baggio de Lille au sein de la filière imprimerie. Il devient ensuite ouvrier typographe et exerce ce métier pendant plusieurs années. Mais, lorsque les imprimeries abandonnent la technique typographique pour passer au numérique, Jean-Claude se retrouve au chômage.

En 1993, il est embauché au CRDP (Centre régional de documentation pédagogique) du Nord Pas-de-Calais, un établissement public rattaché à l’Académie de Lille. Pendant près de 7 ans, il y enchaîne des contrats divers et variés, tous à durée déterminée : un contrat CES d’un an, trois contrats dits « sur ressources propres » (d’un an chacun), un contrat d’agent contractuel de trois mois et, enfin, six contrats de six mois chacun sur cette même appellation… soit un total de 11 contrats précaires !

À la fin des années 1990, après avoir milité longtemps au PCF et à la CGT, Jean-Claude décide de rejoindre le mouvement libertaire et d’adhérer à la CNT, une organisation anarcho-syndicaliste et syndicaliste révolutionnaire alors en plein développement à Lille.

En février 2020, alors que Jean-Claude va avoir 50 ans, l’inspecteur d’Académie et directeur du CRDP s’aperçoit subitement qu’il n’est plus légal de l’employer depuis plus de 3 ans ! Le syndicat CNT éducation entame alors une campagne pour que Jean-Claude obtienne un CDI, d’autant plus que le CRDP a une « dette » envers lui car, quelque années auparavant, il a été victime d’un accident du travail dans le cadre de ses fonctions (accident qui lui a valu l’amputation de 4 doigts à cause d’un massicot hors norme). À l’occasion de cette campagne, Jean-Claude publie dans le bulletin régional de la CNT un texte mettant en scène de manière humoristique une réunion du CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) du CRDP de Lille. À lire absolument car, même si cette lutte est maintenant de l’histoire ancienne, le texte de Jean-Claude illustre parfaitement le type de militant syndicaliste qu’il était : un mélange détonnant de gouaille populaire, de révolte et de revendications concrètes, de sérieux et de drôlerie ! Extrait du chapeau introduisant le texte : << Après les aventures de « Martine au gouvernement » suivies de « Yoyo fait de la gauche de droite » et des aventures d’Allègre dans « T’ar ta gueule à la récré », voici maintenant les navrantes aventures de « Nénette et Jacquot au CRDP de Lille ». Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé est tout à fait voulue >>. Lien pour télécharger l’intégralité de ce texte : Chronique ordinaire d’un CHSCT

À propos d’écriture et comme on vient de le voir, Jean-Claude – en bon ouvrier typographe qu’il était resté – n’hésitait jamais à s’exprimer par écrit. C’est ainsi qu’il publie entre 2000 et 2006 plusieurs articles et poèmes dans le bulletin des syndicats CNT du Nord Pas-de-Calais, tantôt signés de son nom, tantôt signés du pseudo « L’Morse ». Voir ci-dessous (en bas de page) le texte qu’il a écrit en 2004 en référence au « Contrat Emploi Consolidé » (CEC) dans le cadre duquel il travaillait cette année-là.

En 2008, après son départ à la retraite et suite à un voyage qu’il fait au Nicaragua avec David, un camarade membre de l’association « France – Amérique latine », il s’installe à Tisma, petite ville située dans le département de Masaya à 36 kilomètres de Managua, la capitale du pays. Il y rencontre une Nicaraguayenne prénommée Mercedes et de cette union naît une petite fille prénommée Rocio. Pour les habitant·es de son village, pour sa belle-famille  et bien sûr pour sa fille, il devient alors « Papá Jhon » (en Amérique latine, « Jhon » correspond au prénom « Jean »).

Après son installation au Nicaragua, Jean-Claude subit quelques intimidations de la part du parti au pouvoir (le FSLN), organisation qui en 1979 a été le fer de lance de la révolution sandiniste et qui a renversé la dynastie des Somoza. En effet, les chefs locaux du parti ne supportent pas les initiatives citoyennes prises par Jean-Claude (par exemple, pour aider les jeunes de son village à aménager un terrain de foot). Les idées et pratiques autogestionnaires de Jean-Claude ne font pas bon ménage avec le castrisme dont se réclament la plupart des cadres du FSLN ! D’autre part, il est arrêté une fois par la police qui, à cause des ses tatouages, le soupçonne d’être un narco-trafiquant (il faut savoir en effet qu’au Nicaragua, être tatoué est souvent le signe d’appartenance à un gang). Il est bien sûr disculpé et finit par s’intégrer à la société nicaraguayenne même si, à partir de 2011, le pouvoir en place prend un caractère de plus en plus autoritaire et qu’en 2018, malgré l’interdiction qui lui est faite, Jean-Claude participe selon ses moyens à la mobilisation contre la dictature mise en place par le président Daniel Ortega.

Durant toutes les années où j’ai connu Jean-Claude (que cela soit dans un cadre militant ou personnel), j’ai adoré son sens profond de la camaraderie et de la solidarité, son amour pour la langue picarde, son esprit de répartie, son humour dévastateur et son tempérament optimiste (un optimisme d’autant plus mobilisateur que Jean-Claude a vécu dans la précarité une grande partie de sa vie). Adé min comarate ; militer à tes côtés fut un plaisir et un honneur !

Eric Dussart, le 15/09/2025

Nota bene : il est possible que certaines dates soient inexactes car, en matière de chronologie, il y a des lacunes dans mes archives.

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Ci-dessous un poème de Jean-Claude paru en 2004 dans le bulletin des syndicats CNT du Nord Pas-de-Calais en référence au « Contrat Emploi Consolidé » (CEC) dans le cadre duquel il travaillait à l’époque :

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POST SCRIPTUM :

Sur ma page facebook, suite à l’annonce de la mort de Jean-Claude, quelques amis ont laissé des commentaires. En voici deux qui apportent un éclairage complémentaire à ce que j’ai écrit dans mon article :

De Gregor Taarov :
Quelques souvenirs de sa présence aux manifs, je me souviens aussi de son départ pour le Nicaragua, quittant son humble logement. Étrangement, de temps en temps je pense à ce qu’il est devenu là-bas. Et là je tombe sur cette nouvelle et ton article. Au revoir Jean-Claude

De Lélangdu Dedans Vivant :
Merci Eric. Quelle triste nouvelle. Mais Jean-Claude a eu une vie bien remplie. Quelle tendresse ! Quelle générosité ! Sa dernière fille doit sortir tout juste de l’adolescence au Nicaragua, elle aura eu un papa sacrément inspirant ! Tant de bons souvenirs de réunions, de manifs, de moules-frites en tête à tête dans son studio à Fives à babeller regrets intimes (ses premiers enfants) et rêves politiques. RIP L’AMI ✊️🤎

3 réflexions sur “Hommage à mon ami et camarade Jean-Claude Lemaire (1950-2025)

  1. Ce serait exagérer de dire que j’ai bien connu Jean-Claude. Mais bon… Je l’ai connu durant mes quelques années de CNTiste du Nord et je n’ai de lui que de bons souvenirs, relatifs aux qualités que tu lui attribues, Eric. Gentillesse, humour, camaraderie… Un petit coup de blues en apprenant cette nouvelle. Alors comme disent les Moutons Ragoteurs, salut l’artiste ! Et vive la vie et mort aux cons !

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