De 1987 à 1998, j’ai vécu, travaillé et milité dans le faubourg ouvrier de Fives, à deux pas de l’usine FCB qui à cette époque fonctionnait encore. Je suis resté sentimentalement attaché à ce quartier populaire de Lille. C’est pourquoi la réhabilitation de ce qui reste aujourd’hui de l’usine FCB m’intéresse. Si la rénovation de la place Degeyter et les constructions entreprises dans plusieurs rues n’ont pas provoqué pour l’instant une gentrification massive du quartier, le danger n’est pas écarté car Fives continue de se transformer et ces transformations attirent une nouvelle population. La réhabilitation de la friche FCB donne quelques pistes de réflexion. Les classes populaires qui ont donné sa physionomie au quartier sont-elles pleinement associées aux projets en cours ? Ces projets vont-ils avoir une répercussion sur le montant des loyers pratiqués dans le secteur ?
La création de la « compagnie de Fives-Lille » (ancêtre de FCB) date de 1861. Cette usine métallurgique doit sa notoriété au nombre de ses ouvriers (plusieurs milliers) et à l’ampleur de ses installations (plus de 15 hectares d’ateliers, 12 marteaux pilons, 95 forges, 500 machines-outils). De 1861 à 1905, elle produit 2 000 locomotives, 2 000 ponts de chemin de fer, une centaine de ponts routiers, plusieurs charpentes de gares ferroviaires (dont celle d’Orsay), des tunneliers ainsi que les ascenseurs de la Tour Eiffel et de nombreuses machines destinées à l’industrie sucrière (source : Ph. Marchand, Histoire de Lille, 2003). Une grande partie de cette production est exportée dans le monde entier.
Très vite, l’usine devient un haut lieu de l’action politique et syndicale. C’est ainsi que le 17 juillet 1888, à la sortie du travail, l’un des ouvriers – Pierre Degeyter – teste devant ses collègues une chanson dont il a composé la musique et dont le titre est L’Internationale. Pour en savoir plus sur le compositeur (et l’auteur) de cette chanson : www.ericdussart.blog/2017/06/21/internationale
Dans les années 1950, l’usine de Fives-Lille est le plus gros employeur de la région Nord Pas-de-Calais. En 1958, elle fusionne avec la société Cail. En 1973, une nouvelle fusion donne naissance à Fives Cail Babcok (FCB).

En 2001, l’usine ferme ses portes et le site est laissé à l’abandon, triste symbole d’une désindustrialisation voulue par les capitalistes et leurs relais politiques. Cette fermeture s’accompagne bien sûr de son cortège de laissés pour compte.
En 2013, la réhabilitation de la friche commence. Pour sauvegarder la mémoire ouvrière du lieu, les principales halles de l’usine ne sont pas détruites. Le premier bâtiment à être réhabilité est celui dans lequel travaillaient les ingénieurs. Situé 174 boulevard de l’usine, il accueille désormais la Bourse du travail de Lille et les huit organisations syndicales (CFDT, CFTC, CGC, CGT, FO, FSU, UNSA et Solidaires) qui la composent. Pour mémoire, signalons que la Bourse, créée en 1896, a successivement été installée rue Gambetta, rue de Fives (aujourd’hui rue Delory), rue de Paris (aujourd’hui rue Pierre Mauroy) et rue Barthélémy Delespaul.
En 2016, un lycée international des métiers de l’hôtellerie, de la restauration et de l’alimentation ouvre ses portes sur la friche FCB dans une halle aux impressionnantes charpentes métalliques. Un passage couvert (dénommé Passage de l’Internationale) est créé. Son aménagement n’est pas terminé mais il permet d’ores et déjà au public d’accéder au lycée ainsi qu’à ses trois boutiques d’application (boulangerie-pâtisserie, fleuriste et restaurant). À proximité, on peut observer une énorme cuve de récup’ des eaux pluviales destinée à alimenter les futures allées-jardins.
En 2017, un collectif « Chemin de mémoire » est créé à l’initiative de la CGT. « Nous ne laisserons pas faire les oublieux de notre histoire » proclame-t-il ! En effet, malgré la volonté affichée par la municipalité de Lille de jouer la carte de la démocratie participative, les habitants du quartier (dont beaucoup ont travaillé pendant de longues années à l’usine FCB) ne semble pas vraiment écoutés. À cela s’ajoute la crainte de voir apparaitre, à travers la réhabilitation de la friche FCB, le mépris que la municipalité de Lille a souvent pour l’histoire ouvrière (cf. la visite guidée que l’office de tourisme organise en autocar dans le centre de Lille et qui occulte totalement le passé prolétaire de la ville ; voir aussi – sous le règne de Pierre Mauroy – la destruction de la coopérative ouvrière L’Union de Lille). En décembre dernier, une pétition est lancée pour demander à Martine Aubry, maire de Lille, de donner aux rues du nouveau quartier les noms des travailleurs de l’usine FCB fusillés ou déportés pour fait de résistance pendant l’occupation nazie (à l’image de ce qui a été fait pour le parvis du gymnase situé près du lycée hôtelier et qui porte le nom d’Adèle Durriez, infirmière à l’usine FCB décédée à Ravensbruck). Cette pétition exige également qu’un local soit attribué au collectif pour lui permettre d’organiser la collecte et le prêt de documents, la présentation d’expos, de films, de conférences, etc.
Début 2018, une cuisine éphémère (L’Avant-goût) s’installe à proximité du chantier de la future « Cuisine commune ». Courant mars-avril, une serre urbaine donnera sa première récolte. Fin 2019 verra l’ouverture de la « Cuisine commune », un lieu situé dans la halle F6 et qui permettra aux habitant·e·s de Fives (et aussi d’Hellemmes car le territoire de cette commune associée à Lille jouxte en partie la friche FCB) de se retrouver autour d’ateliers et de moments conviviaux comme la préparation des repas.
Enfin, d’ici à 2025, seront construits 1 200 logements (dont un tiers de logements sociaux, engagement de la communauté urbaine dont il faudra surveiller la réalisation effective), une piscine (très attendue par les habitant·e·s mais dont la date de construction semble bien lointaine), un lieu consacré à la production artisanale et agricole (avec l’installation notamment d’une brasserie et d’une fromagerie), des ateliers d’artistes et un parc… malheureusement limité à 7 hectares, la municipalité de Lille préférant multiplier le nombre de logements (source de profits pour les promoteurs immobiliers) plutôt que d’offrir des espaces verts conséquents aux habitant·e·s d’un quartier populaire (à titre de comparaison, signalons que le parc de la Citadelle – situé dans l’un des secteurs les plus aisé de Lille – mesure 70 hectares, soit dix fois de ce qui est prévu sur la friche FCB, pourtant qualifiée de futur « éco-quartier »).
Liens supplémentaires :
- Le site officiel du projet de réhabilitation : www.fivescail-lille-hellemmes.fr/home
- Un article de présentation fait par la mairie : www.lille.fr/Nos-equipements/Fives-Cail
- Deux associations citoyennes agissant sur le terrain du logement et de l’urbanisme : L’APU de Fives et Les gens d’Hellemmes
- Un article issu d’une recherche-action collective en sociologie « Regards croisés sur le quartier de Lille-Fives, éléments pour une sociologie du vivre-ensemble » dirigée par Marion Carrel dans le cadre du Master2 « Stratégies de développement social » soutenu en 2011 à l’université de Lille3: www.books.openedition.org/septentrion/7833?lang=fr#text
Pour savoir des actions syndicales sont prévues dans le cadre de la réhabilitation de la friche FCB : écrire à la CGT et/ou à Solidaires
De puis que l’oeil du Mordor s’est tourné vers Fives, le quartier est ravagé. Des arbres centenaires ont été passés à la tronçonneuse, le moindre espace vert est coulé sous le béton et notre patrimoine disparaît pour faire place à des cages à lapins en béton. Le quartier est devenu invivable. On nous dit qu’une piscine sera construite dans le nouveau quartier bobo qui remplacera notre usine, mais qu’adviendra-t-il alors de celle qui existe déjà, à deux pas de la rue Pierre Legrand? Si Aubry pouvait nous oublier, nous tenterions de penser nos plaie et de maintenir ce quoi n’a pas encore été écrasé par les bulldozer mais je crains que son effort de destruction ne s’arrête pas là et qu’après son passage, il ne reste plus rien de Fives.
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En vérité, le terme de « réhabilitation » est déplacé, en l’occurrence, puisque rien n’est réhabilité, mais détruit.
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