Pour une société autogérée, égalitaire et fédéraliste

D’après d’un texte à la rédaction duquel j’ai participé au début des années 1980 et qui a ensuite été utilisé par plusieurs orgas dans lesquelles j’ai milité :

L’organisation de la société actuelle s’illustre par le schéma classique de la pyramide. Le sommet, détenteur de l’autorité, impose ses décisions à la base par l’intermédiaire d’échelons successifs d’agents exécutifs dont le pouvoir diminue au fur et à mesure qu’ils se rapprochent de la base (cf. schéma ci-dessous).

schéma de la pyramide étatique

Contrairement à cette organisation hiérarchisée, une société autogérée et fédéraliste peut se schématiser sous la forme d’un cercle. La périphérie représente l’ensemble des membres et des cellules sociales ; le centre représente les organismes d’administration et de coordination. Les décisions sont prises à la périphérie et se répercutent au centre où elles s’harmonisent et se coordonnent, puis reviennent à la périphérie pour se réaliser. Chaque cellule sociale forme un cercle ayant sa périphérie et son centre. Tous ces cercles sont unis par des liens fédératifs (cf. schéma ci-contre et ci-dessous).

schéma des cercles fédératifs

Élaborer un programme « clés en main » inspiré de cette conception serait complètement illusoire compte-tenu du fait que le monde évolue sans cesse. Ce programme risquerait de devenir obsolète ou, pire, de se transformer en dogme indépassable. Dans une optique autogestionnaire, ce sera donc à celles et ceux qui seront directement confronté.es à un processus révolutionnaire de s’atteler à cette tâche. Cela étant dit, il n’est pas inutile de dresser d’ores et déjà quelques pistes…

utopies-realites

Une démocratie directe

La commune (ou groupement de communes) – cellule de base de la vie sociale – s’administre librement en dehors de toute tutelle étatique. Regroupant tous les individus, unités de production et associations d’une ou plusieurs localités déterminées, fédérée sur le plan cantonal, régional et national, la commune prend en charge, par la création d’organismes spécialisés, l’économie locale et les services publics (consommation, habitat, santé…). Son fonctionnement, quartier par quartier, repose sur la gestion directe : assemblées générales par unités de voisinage, définition précise des mandats, envoi de délégué.es révocables à tout moment au plénum communal, réunion de celui-ci en séance publique et retransmission en direct des délibérations sur radio ou télévision locales, etc. Un tel fonctionnement écarte de cette manière les notables qui, aujourd’hui, monopolisent l’administration de la cité. Quant au gouvernement, il est remplacé par une structure de coordination composée de délégué.es issu.es de la fédération des communes et de délégué.es issu.es de la fédération des entreprises (cf. ci-dessous).

Des lieux de travail autogérés

L’exploitation agricole, l’usine et le bureau sont gérés par tous ceux et toutes celles qui y travaillent. Les délégué.es, mandaté.es avec précision en assemblée générale et réuni.es en conseil, sont chargé.es de coordonner la production. Ils et elles sont révocables à tout moment et leur tâche ne s’accompagne d’aucun avantage particulier. Il va de soi que ces délégué.es ne peuvent se fixer à un poste de responsabilité plus d’un certain temps. La formation continue permet de lutter contre la parcellisation des tâches et fait en sorte que certains savoirs professionnels ne se transforment pas en instruments de domination politique. La hiérarchie des fonctions et des salaires est abolie, laissant ainsi place à une véritable égalité économique et sociale. Quant à la durée du temps de travail, elle est considérablement réduite, compte tenu de la suppression des tâches reconnues socialement inutiles, de la réorganisation des forces productives et de l’utilisation nouvelle des technologies de pointe. Afin d’éviter tout repli sur soi, les conseils d’entreprise sont rattachés inter-professionnellement (mais aussi par secteur d’activités pour les questions techniques) à une fédération locale, régionale et nationale, d’où pour toute décision un mouvement de va et vient entre les structures de base et les organismes de coordination. Cette fédération qui s’appuie sur le/la travailleur.se (unité économique) constitue avec la fédération des communes, fondée sur l’individu (unité politique), une organisation sociétaire duale liée à différents niveaux par une structure commune de coordination.

schéma de la double organisation fédérale

Une économie égalitaire et distributive

C’est aux conseils d’économie liés aux communes, ainsi qu’aux coopératives de consommateurs et à leurs fédérations, que revient le rôle de planifier la production en fonction des données démographiques et des besoins exprimés par la population. L’économie est ainsi fondée sur la satisfaction des besoins de tous, non sur les profits. Contrairement au mécanisme actuel, c’est la consommation qui oriente la production. En ce qui concerne les échanges destinés à obtenir les produits nécessaires pour couvrir les nécessités de tous, plusieurs solutions sont possibles pour passer d’une économie marchande à une économie distributive. Outre la gratuité totale des services de première nécessité (transports en commun, médecine, etc.), le compte de chaque individu peut être crédité automatiquement, tous les ans par exemple, d’une somme répartie égalitairement et calculée en fonction de la richesse collective du moment. Pour éviter toute thésaurisation excessive, la monnaie utilisée à cet effet peut être une monnaie « fondante », c’est à dire une monnaie informatique se dévaluant progressivement en fonction du rythme général de l’économie, jusqu’à s’annuler au bout d’une certaine période. Les phénomènes de spéculation peuvent également être supprimés à l’échelon industriel par une plus grande transparence des mécanismes financiers (regroupement du réseau bancaire, etc.) et par la création éventuelle d’un circuit monétaire spécifique réservé à l’achat des biens de production effectué par les entreprises. Enfin, une décentralisation économique est mise en place ainsi qu’un système inter-régional de péréquation pour éviter les déséquilibres entre régions « pauvres » et régions « riches ».

Bien sûr, l’alternative à la société actuelle ne peut s’envisager uniquement sous l’angle d’une transformation de l’organisation économique et politique. L’alternative s’applique à l’ensemble des structures et des rapports sociaux : éducation, justice, culture, écologie… vastes domaines difficilement abordables dans le cadre restreint de cet article.

Comment parvenir à cette société ? Avec qui, par quel processus et dans quel cadre ?

Les mouvements sociaux, aujourd’hui éparpillés, pourraient à court terme s’unifier à la base et converger dans un cadre fédéraliste. Associations issues de l’immigration, syndicats alternatifs, comités de chômeurs, collectifs de travailleur.se.s, oppositions syndicales, coopératives… des structures autonomes de lutte existent par centaines. Il s’agirait, dans un premier temps, qu’elles se construisent un espace unitaire afin de confronter leurs expériences et de débattre des perspectives. Des assemblées générales locales, régionales et nationales pourraient notamment être organisées de façon régulière afin de faire circuler les informations et les idées. Dans un second temps, des campagnes et des axes de lutte, se situant dans une perspective de synthèse sur le plan des tendances et des terrains d’intervention, pourraient être élaborés en commun. Des structures organisationnelles pourraient progressivement se mettre en place. Ces structures devraient absolument s’inspirer du fédéralisme autogestionnaire et fonctionner ainsi du bas vers le haut afin d’éviter que les organisations se reconnaissant dans le mouvement social, constituent un cartel centralisateur. Ceci dit, la présence de ces organisations au sein des assemblées générales permettrait sans doute d’enrichir le débat. II s’agit cependant de prévoir les travers possibles de rassemblement et d’adopter en conséquence un fonctionnement fondé sur la transparence, la révocabilité permanente des délégué.es, la rotation des tâches, le mandat impératif et précis, le non cumul des responsabilités. Cette structuration progressive devrait, à notre avis, s’acheminer vers la construction d’un large mouvement s’articulant autour de deux pôles : lieu de résidence et lieu de travail (ou d’étude). Comités de quartier et comités d’entreprise seraient respectivement rattachés à deux fédérations spécifiques, organisées sur le plan local, régional et national (avec une structure à la fois professionnelle et inter-professionnelle pour les comités d’entreprise). La fédération des comités de quartier et celle des comités d’entreprise constitueraient ainsi une organisation duale liée à différents niveaux (local, régional et national) par une structure commune de coordination, ceci afin d’harmoniser les rapports entre l’ensemble des travailleur.se.s (unités économiques) et l’ensemble des individus (unités sociales) ; d’où pour chaque décision, un mouvement de va-et-vient entre les nœuds fédératifs et les structures de base. Certes, un tel degré d’organisation peut paraître lointain. Il importe néanmoins que le mouvement social tente de s’en rapprocher un maximum s’il souhaite que sa volonté de changement soit autre chose qu’un espoir sans lendemain.

Nous avons vu que les objectifs à court terme du mouvement social devraient être de se donner un espace de débat et de coordination, ouvert et pluraliste, à partir des luttes et des réalités de la base. À moyen terme, l’objectif du mouvement social devrait être de fédérer l’ensemble des fronts de lutte, de mener des actions concertées, de réfléchir à un projet de société (réellement anticapitaliste et autogestionnaire) et de se constituer en tant que contre-pouvoir potentiel. Enfin, à plus ou moins long terme, les syndicalistes révolutionnaires, devront agir pour que le mouvement social ait les capacités de se substituer aux autorités capitalistes et étatiques à la faveur d’une crise sociale et/ou de régime, et selon un processus (assemblée constituante par exemple) qui sera déterminé par les acteurs et actrices du mouvement social, eux-mêmes et elles-mêmes.

Article complémentaire : le syndicalisme révolutionnaire

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