Hommage à mon ami Ghislain Gouwy (1936-2018)

ghislain-gouwyUn vieux lion s’en est allé. Il ne dira plus sa Flandre rêvée (« mythique et non mystique », « charnelle », « sans drapeau ni frontières » comme il tenait à le préciser). Ses colères ne feront plus se courber les puissants et les hypocrites. Poète enraciné (ce qui ne l’empêchait nullement d’être internationaliste et solidaire des peuples du monde entier), conteur et animateur de radio (cf. l’émission En direct de Bruegeland qu’il anima pendant de nombreuses années sur Radio Uylenspiegel), il ne colportera plus les nouvelles de son pays. Son verbe était à la fois littéraire et populaire, pictural et musical. Homme de théâtre, Ghislain Gouwy s’inscrivait dans la lignée de Michel de Ghelderode (1898-1962), dramaturge d’origine flamande et d’expression française dont il a adapté plusieurs textes. Un autre artiste belge dont il a adapté les textes était James Ensor (1860-1949), un anarchiste belge, peintre et graveur auteur d’une œuvre expressionniste originale. Charles de Coster et la légende de Tijl Uilenspiegel (cf. la vidéo ci-dessous) furent également au centre de son imaginaire. De sa rencontre avec le chanteur breton Glenmor (de son vrai nom Émile Le Scanve, dit aussi Milig ar Skañv) était né le récital « Flandre-Bretagne » qui a tourné pendant plusieurs décennies dans l’Hexagone ainsi qu’en Wallonie et dans le Brabant. D’abord ouvrier-forgeron, puis éducateur dans les services départementaux de l’Aide sociale à l’enfance, Ghislain Gouwy n’était pas un artiste professionnel. Mais, sur scène ou simplement accoudé au comptoir d’un estaminet, sa voix, sa carrure, ses textes, son empathie avec le public, sa sensibilité, son charisme en faisaient un artiste à part entière. Sur le plan politique, il revendiquait haut et fort son attachement aux idées libertaires. Sur le plan associatif, il militait activement pour la défense de la langue flamande. Antimilitariste et anticolonialiste, il portait fièrement les cheveux longs en souvenir de l’époque où l’armée française avait failli les lui couper pour l’envoyer faire la guerre en Algérie, une conscription à laquelle il ne s’était pas soumis et qui lui avait valu une peine de prison. Aujourd’hui, le Westhoek a perdu son barde à la barbe fleurie… et « pleine de co-que-ci-nelles » (référence à un texte de Ghelderode). « L’éveilleur de peuple » (comme le qualifiait Christian Mercier, l’ancien propriétaire de l’estaminet Het Blauwershof à Godewaersvelde) s’est éteint. Sylviane a perdu son compagnon. Kathelyne et son frère Éric ont perdu leur père. Quant à moi, j’ai perdu un ami et un camarade. En ce triste jour, je mêle mes larmes à celles de tous ceux qui l’ont aimé.

Deux textes qui illustrent deux facettes différentes de sa personnalité :

Un court-métrage auquel il a participé à la demande de ma fille Chloé : Le dormeur du val

L’extrait d’un spectacle donné en juin 1993 à l’estaminet De Vierpot (59299 Boeschèpe), au pied du Mont des Cats et du Moulin de l’Ingratitude (Ondankmeulen) :

Nota bene : Le hibou-miroir est une référence à Tijl Uilenspiegel, personnage inspiré d’une légende germanique qui raconte les farces que faisait aux notables un fils de paysan. En effet, le terme Uilenspiegel (traduit improprement en français par espiègle) évoque à la fois le hibou et le miroir, objets fétiches du personnage qui, par ces symboles, s’inscrit dans la tradition moyenâgeuse du bouffon détenteur de sagesse (cf. le hibou) et moqueur des puissants (cf. le miroir qui révèle la vérité de l’ordre établi). Hibou-miroir, peut-être aussi – comme l’analyse Véronique Marchand dans un reportage de France 3 Nord Pas-de-Calais consacré à Ghislain Gouwy – « parce que l’oiseau de nuit renvoie aux hommes l’image de leur noirceur ; alors, miroir grossissant, ils le détruisent, le clouant aux portes ».

Activités artistiques, bibliographie, discographie, critiques, engagement associatif et noms de ses musiciens : lire ici au formet PDF

Hommages rendus suite à son décès : Des hommages à Ghislain ont été publiés ce jour sur le site Mémoire du folk en Nord Pas-de-Calais, sur celui de France 3 Hauts-de-France et sur celui de La Voix du Nord. Voir également les deux commentaires que ma fille Chloé a publiés ci-dessous les 11 et 19 février.

Un poème de Ghislain Gouwy sur la Flandre :

Un autre poème de Ghislain Gouwy : Je t’aimerai dans le roulis des orgues (PDF)

Extraits d’un entretien avec Ghislain Gouwy réalisé par Véronique Marchand le 5 juillet 1992 à Boeschèpe : télécharger ce PDF

Ci-dessous un article du quotidien La Voix du Nord (13 juillet 1999) qui souligne l’action de Ghislain Gouwy en faveur de l’apprentissage de la langue flamande :

 article-de-la-voix-du-nord-sur-la-langue-flamande-et-ghislain-gouwy-13-juillet-1999

Sur la photo : Ghislain Gouwy dans sa houblonnière

Ci-dessous l’annonce d’un spectacle organisé le 23 janvier 1993 au centre culturel libertaire de Lille, suivie d’un article paru quelques jours après dans le quotidien La Voix du Nord :

NB : Concernant Dagoberto (le camarade que Ghislain tient dans ses bras sur la photo ci-dessus), il s’agit d’un réfugié politique salavadorien qui a vécu chez moi à Lille de 1990 à 1992. En savoir plus

2 réflexions sur “Hommage à mon ami Ghislain Gouwy (1936-2018)

  1. Il est des gens qui forment notre famille de cœur. Ghislain, tu faisais partie de cette famille. Je suis choquée, je suis triste, triste de n’avoir pas pu te dire au revoir… Le temps passe tellement vite, on pense que les êtres chers sont immortels et je regrette d’avoir été si loin, de ne pas avoir passé plus de temps pour venir vous voir. C’est une petite partie de mon univers qui s’en va avec toi. Kathelyne, Sylviane, Papa, Véro, je pense très fort à vous !

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  2. En exil dans le Royaume du millier d’Elephants, voici un texte que j’ai écrit à la mémoire de Ghislain, que je connais depuis mon enfance et qui a planté les germes de mon imaginaire poétique:

    «  Mon cher Ghislain, c’est avec tout mon chagrin, mais aussi tout mon amour, que je t’adresse ces quelques mots.
    Mes paroles vont paraitre bien ternes devant ta prose flamboyante, toi qui savait si bien mettre de la fougue et de la majesté dans chaque mot!
    Tout en toi est vibration, intensité: à commencer par tes embrassades puissantes et chaleureuses, à l’image de ta voix, de ton être tout entier. Tes yeux, qui n’ont jamais cessé de briller, espiègles et observateurs, qui mettaient de la Beauté et de la Magie partout où ils se posaient. Tes coups de gueules théâtraux auxquels on prenait tant plaisir à participer, à commencer par ta chère Kathelyne.
    Parce que Ghislain, tu es ça aussi: un homme de théâtre qui nous fait entrer dans ton monde fabuleux, un monde d’histoires et de légendes dont tu étais notre guide. Entrer dans ton univers mon cher Ghislain, c’est ouvrir son cœur et son esprit à l’enfant-poète qui sommeille en nous. Avec ta belle barbe blanche, on pourrait s’y méprendre! Mi-Ghislain mi-Merlin, en compagnie de ta muse Sylviane-Viviane et de votre jolie fée-elfe Kathelyne.
    Je ne sais pas si il y existe un paradis comme on dit… Mais s’il y en est un, sûr qu’on y trouve des estaminets et que ton cher Milig * t’y attend de pied ferme pour déguster un bon vieux whisky! Mais attention, même au paradis, il faut boire avec modération! Car on aura toujours besoin de vous pour mettre de la Beauté dans ce monde;
    je sais que dans le bruissement des feuilles d’un arbre dans lesquelles le vent se faufile, dans les rayons du soleil qui illuminent un mont couvert de neige tombée en silence, dans le tonnerre des vagues qui viennent s’écraser sur une falaise ou encore après une averse d’automne, au travers d’un arc en ciel, tu seras toujours la avec tes yeux malicieux pour veiller sur celles et ceux qui t’aiment. Dans tous ces moments, nous te retrouverons. »

    * Milig est le prénom breton du grand artiste Glenmor, meilleur et fraternel ami de Ghislain

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